Interview- Claire Ducène
Interview d’Emmanuelle Bury / Photos de Daniel Godart et Emmanuelle Bury
La mémoire. Le sujet qui intéresse tout particulièrement Claire Ducène, artiste plasticienne. Au travers de ses œuvres, aux médiums et aux techniques variés, elle nous emmène dans le labyrinthe de la mémoire. Visite guidée entre souvenir et réalité. Son actu : « Ce blanc du ciel qui fait disparaitre les montagnes… », exposition à la THANKSgalerie jusqu’au 25 juin 2022.
Louviéroise d’origine et lauréate du prix du Hainaut des Arts plastiques en 2015, Claire Ducène a présenté sa première expo au musée des Beaux-Arts de Charleroi la même année. « Au début, mon travail portait sur mes archives personnelles et familiales, toujours anonymisées. Au fur et à mesure des années, il s’est posé sur d’autres thèmes de la mémoire mais qui consistait toujours en une déambulation dans celle-ci, au fait de se perdre dans la mémoire, qu’elle ne soit pas logique. »
Elle poursuit : « Il y a une suppression de tes souvenirs selon ce que tu veux laisser de côté, selon ce qui correspond à ta personnalité actuelle. Ainsi, de retour d’un voyage, tu vas te souvenir d’une chose absurde et pas forcément de l’ensemble du voyage ou d’une parole qu’on t’a dite mais pas forcément du contexte. Je trouve ça assez fascinant. Ça m’intéresse beaucoup de savoir ce qui va définir l’image qui va nous rester. »
Rentrer dans l’univers de Claire, c’est découvrir un joli travail de superpositions d’images brouillées qui pousse à regarder de plus près, à rentrer dans cette image et à se demander ce qu’on a sous les yeux. Le rendu parfait d’un appareil photo, ça ne l’intéresse pas. Elle explique : « Quand je me balade dans un bois, je vois d’abord les arbres et puis, ma mémoire se met à divaguer et surgissent dans ma tête, des visages, des souvenirs de voyage ; l’imaginaire prend le dessus. Pour le visualiser, il me semblait évident de travailler en superposition, comme si je parvenais à faire une photo de ce qui se passe dans ma tête à ce moment-là. »
Vidéo, photo numérique, photocopie, gravure à la pointe sèche, gravure numérique passée sous les presses, manuscrit, diapositive, ses œuvres reposent sur le mélange de toutes ces techniques à la fois neuves et anciennes. « Dans les expositions, c’est important pour moi d’avoir beaucoup de médiums différents, ça permet d’imbriquer une forme de labyrinthe rien que dans les techniques qui sont proposées. »
Par son travail, Claire nous partage aussi son amour du français non seulement parce qu’elle l’enseigne mais aussi par des extraits de littérature présents dans ses compositions. Comme une idée de fragment, de page découpée, de poésie qui virevolte. Ces extraits peuvent être ceux d’écrivains – elle cite Stefan Zweig, Baudelaire, Victor Hugo - de sa famille ou même ses propres écrits.
« Parfois, je consacre mon exposition à un écrivain, comme je l’avais fait pour Stefan Zweig à la TRE-A Galerie à Mons en 2020». Cette fois, c’est Paul Nougé, surréaliste bruxellois, qui est à l’intérieur de l’exposition. Il y aussi des poèmes de mon père, Jean-Paul Ducène, dont le manuscrit est ouvert et dont un poème est disponible à la lecture. »
En parallèle de sa création et de l’enseignement, elle est également investie avec passion dans des projets collaboratifs. « J’ai créé Fictive Archive Investigations, un groupe de dix-sept chercheurs et plasticiens internationaux qui travaille sur la notion d’archive fictive et dont l’exposition aura lieu en janvier 2023. J’ai mon collectif Endless House avec Nicolas Riquette où on crée de grandes structures en bois à l’intérieur desquelles on imbrique mes œuvres. Et j’ai mon autre collectif Ghostwriters avec le musicien Christophe Bailleau. On travaille en collaboration : j’écris le scénario, je fais la partie la vidéo et lui s’occupe du récit sonore et de la musique. On a déjà réalisé House 27 et on va bientôt faire House 11.11. »
Tour à tour, artiste plasticienne, créatrice d’installations, professeur, collaboratrice, amoureuse de lettres, scénographe, Claire Ducène est une artiste multiple, généreuse, drôle et passionnée.
Je t’invite à venir déambuler mentalement et physiquement avec elle à la THANKSgalerie et à découvrir son exposition « Ce blanc du ciel qui fait disparaitre les montagnes… ». Un voyage avec des fragments des terres du Nord, quand la neige envahit le paysage, quand la nature est partout, quand la réalité devient dessin.